San Fransisco, 2pm

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Le saule pleureur, vu d'ailleurs *


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Je suis à l’heure, comme toujours. Mon regard posé sur la transparence de la porte me balance à la gueule toutes ces années vaines. Ces peu d’existences, remous inutiles que je claque au vent pour justifier cette vie terne, tordue de douleur. Agonie du crocodile.
Ce n’est pas la rumeur des nuits qui m’accueille mais la mélodie tranquille d’un Neil Young de circonstance, au réveil de cet après midi pluvieux.
Le coude au zinc, une vieille femme me darde de ses prunelles injectées de sang. Un frisson me tressaille.
Toi, tu es au fond du bar à m’observer m’avancer de ce pas si faussement nonchalant, presque étudié.
Café cuillère et noir baiser.
L’imper détrempé s’envoie valser sur la chaise à côté. Je pose enfin ma carcasse sur la banquette défoncée et je te demande si tu vas. Question classique. Tu me réponds d’un sourire, et je sais qu’aujourd’hui, comme à nos habituelles entrevues d’amants éhontés, tu me diras tes caresses anonymes et ta salive dégoulinante sur ces épidermes inconnues. Je n’aurai qu’à taire mes cris en attendant mon tour sur ta scène. Je m’étouffe de ton indifférence et de ta glace d’âme. Toujours si froide, t’avançant dans une vie aseptisée de toutes curiosités s’approchant d’effusions et de sentiments. Jamais dense, mais avec panache, t’animant d’orgasmes même pas exceptionnels, en soubresauts de corps transi. Lui qui gueule sa faim de fièvre et de rage, ses envies d’absolu, mais que tu n’entends pas. Sourde aux atteintes, aux étreintes de passion. Mais toi, tu es toujours là avec ton cynisme et tu ne t’arrêteras pas. Je suis l’homme détaché, la virilité clichée. Et même si je crève d’amour, pour toi ou une autre, je ne te l’avouerais jamais. De tes sourcils méprisants, accent circonflexe, tu me ferais proie au ridicule. Perte de face pour celle que je masque à ton semblant semblable depuis toujours. Tu m’as fait tenir à ces remparts, ces faux enlisants depuis tant d’années. Lacheté de l’homme qui n’a plus ni force ni courage pour s’opposer à ses choix. Je ne suis plus le jeune premier.
Depuis combien de temps jouons-nous, Marie ?
J’aimerais un jour que tu me dises tes peurs. Je voudrais te savoir en dehors de toi. Un rendez vous avec ton côté face et plus seulement pour le cul. Nous nous savons tant que parfois j’en vomirai. Tout ton corps m’écoeure. Tes gémissements, je les connais par cœur. Sur le bout de tes doigts, précis et tranchants comme tes remarques et observations que tu ne peux t’empêcher de faire sur tes conquêtes médiocres. Décortiquer, démembrer en autopsie d’un coït de plus.
Et tes jambes … Tes cuisses qui ne n’offrent même plus de résistance et qui s’écartent sans plus d’hésitations qu’une putain aux années explosées. Il y a tant de choses que j’aimerais te cracher à la gueule. Ma rancœur, ma bile qui me ronge les os, c’est de l’acide citrique qui me circule dans les veines depuis que nous sommes. Aux prémisses, c’était trip brûlant, voyage aux ailleurs lubriques. Puis crescendo. Pas la douce montée des sensations, non. Mais les tripes qui se délabrent peu à peu. Et toi qui palabres, dissertes tes sauteries de femme libre et émancipée. Tu souris aux détails salaces, aux limites du glauque. Auxquels je réponds en coin, blasé. Je sens venir la fin de tes récits et m’échauffe l’esprit. Je n’ai plus le trac, je connais mon public, sais ce qu’il désire et comment lui apporter. Mécanique trop bien huilée. Je vais faire semblant comme toujours de n’avoir rien à te livrer, et toi tu creuseras de ta curiosité malsaine avec ton air de gamine qui en sait beaucoup trop. Je finirais par raconter. Ou inventer. Te laisser avoir l’impression de supériorité sur ces ingénues qui se blessent à mes règles du jeu. Oh oui, toi, tu les connais trop bien.
Après le café, tu déploieras ton parapluie et je remonterais mon col.
On baisera dans une chambre d’hôtel et on se dira à la prochaine d’un clin d’œil.

Comme si c'était normal
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